Qu’en est-il soixante ans plus tard ? Serait il possible qu’il y’est une connexion entre l’afro-futurisme et la création sur le continent ? Ce mouvement créé il y’a de ça plusieurs générations aux Etats-Unis, fait pourtant échos à de nombreuses créations issues d’afro-descendants et d’artistes du continent africain, qui eux aussi questionnent l’avenir et partagent souvent à travers leurs créations, inquiétudes et désaccords face à un « néo-colonialisme » mais pas uniquement. Il serait aussi question de valoriser la place des femmes et des hommes noirs dans les créations d’aujourd’hui et de demain. Des créations qui veulent proposer des récits spéculatifs sur le devenir du continent et plus globalement de la planète. La science-fiction s’invite dorénavant dans le présent de l’Afrique par le biais du cinéma, de la littérature, de la musique et de la création plastique. Les visions de ces créateurs présentent un avenir meilleur, pensé, imaginé, coloré par les Africains eux-mêmes et non imposé de l’extérieur.
Le réalisateur burkinabé, Gaston Kaboré, confiait au site Allo Ciné, que : « Si l’on considérait plus largement la mise en scène des pratiques traditionnelles liées au surnaturel, on pourrait intégrer un bon nombre de productions africaines dans le label science-fiction. » Kaboré estime qu’il y’a bien de la place pour des films qui présentent un présent et un futur « surnaturel ». Ces productions s’appuient non pas sur des inventions technologiques extraordinaires, certainement par manque de moyens, mais sur un monde surnaturel, qui lui est plus familier du public local. Le surnaturel est un sujet qui revient souvent dans les productions afro-futuristes produites sur le continent qu’elles soient passées ou actuelles . La fashion designer sénégalaise, Selly Raby Kane, à travers sa production cinématographique produite par le biais de la réalité virtuelle, intitulée The Other Dakar , fait échos aux propos de Kaboré. En effet dans ce court métrage elle présente un Dakar entre passé, présent et futur où personnages humains se mêlent aux esprits et corps aliens. Dans ce projet, elle confectionne des tenues afro-futuristes à partir de matières issues de la récupération. Toujours au Sénégal, dans le cadre d’une collaboration entre les artistes Jahgal et Fabrice Monteiro, le photographe présente une prophétie alarmante où les djinns, esprits de la nature, suffoque dans les différents environnements présentés, pollués par des générations d’hommes, victimes des maux d’une société de surconsommation peu sensible aux questions environnementales. L’Afro-futurisme a son lot de sceptiques où de regards critiques. District 9, le film du Sud-Africain Neill Blomkamp, propose lui, une parabole sur la xénophobie et l’apartheid. Ces personnages principaux sont des extraterrestres à tête de grosse crevette, réduits en esclavage et parqués dans des camps. La jeune réalisatrice kényane Wanuri Kahiu , elle aussi, propose une vision futuriste dans son moyen-métrage Pumzi, sorti en 2009. Le nigérian Genesis Williams réalise lui un court-métrage The Day They Came dans lequel les envahisseurs, sortes de géants de métal surarmés. L’Afrique futuriste, du béninois Sylvestre Amoussou imaginait dans Africa paradis présente des Européens, poussés par la pauvreté, tentant d’entrer illégalement sur un continent noir devenu prospère.
Comme au cinéma, dans la littérature, certains artiste se positionnent. C’est le cas de l’auteure nigérienne, de science-fiction, Nnedi Okorafor, qui exprimait dans une interview du Point que “l’afro-futurisme est devenu un mot marketing”, un terme qui peut donc créer la discorde s’il est mal employé. Elle regrettait qu’il soit l’apanage des américains alors que “ce courant concerne également l’Afrique” et puisse sa force sur l’histoire et les cultures du continent. L’afro-futurisme ne pourrait se dissocier de l’Afrique. Les artistes qui y sont associés ont le droit de mener des démarches biens différentes et d’utiliser les codes, les symboles traditionnels très éloignés de ce que la culture « mainstream » peut valoriser. Les cultures africaines étant en effet aussi nombreuses que les paysages sur le continent ! Cette diversité et pluralité culturelle doit pouvoir s’exprimer librement au cœur de ce courant. Achille Mbembe , philosophe camerounais , historien, auteur s’intéresse de près à la question est publié dans Politique Africaine n136 : Afro-futurisme et devenir-nègre du monde. Cet extrait du résumé propose une approche intéressante et contextualise le mouvement afro-futuriste selon le point de vue de Mr Mbembé « Depuis le milieu du XXe siècle, différents courants se sont attachés à critiquer en profondeur l’humanisme occidental. Parmi eux, l’afro-futurisme déclare que c’est l’idée même d’espèce humaine qui est mise en échec par l’expérience du nègre, forcé notamment par le biais de la Traite, de revêtir les habits de la chose et de partager le destin de l’objet. [….] « Le Nègre de fond » fait son apparition sur la scène du monde alors que, plus que jamais, le capitalisme s’institue sur le mode d’une religion animiste, tandis que l’homme de chair et d’os d’autrefois fait place à un nouvel homme-flux, numérique. »
La musique n’est pas en reste, sur le continent, de nombreux artistes s’expriment autour de l’afro-futurisme, notamment l’artiste tchadien, Caleb Rimtobaye qui fait partie de ces créateurs qui mêlent à leurs musiques futuristes, différentes traditions issues du continent. Dans ses influences musicales on retrouve la musique des danses traditionnelles du Tchad, « le saï », des sonorités électroniques, de la musique mandingue, de dubstep et de ci de là, des voix de femmes africaines où encore des notes de blues saharien. Caleb fait partie de ceux qui veulent dessiner eux-mêmes l’avenir du continent et de ces peuples : « Depuis la colonisation, nous laissons les grandes puissances nous dire qui nous sommes. Cela doit cesser. Je ne crois pas que l’Afrique de demain, sera apocalyptique, comme voudrait le présenter les superproductions de Hollywood où certaines œuvres d’artistes africains sceptiques. Je vois un continent qui va dépasser le racisme, positiver, miser sur la haute technologie, ainsi que sur une esthétique épurée… Inventivité, adaptabilité, imagination, (ré-) appropriation et persévérance. Courant pour certain, mouvement pour d’autres l’afro-futurisme est déjà en marche et dans tous les champs de la création, la musique électronique noire contemporaine est l’un de ces canaux de diffusions. Le Dj sénégalais Ibaaku, propose sa vision futuriste d’une musique spatiale à travers un album intitulé Alien Cartoon. Un mélange de différentes inspirations issues des rythmiques traditionnelles ouest-africaines et de la musique dite électronique entre dub, drum’ n’ bass en passant par le nu-skool hip-hop et même le jazz.
Le mouvement afro-futuriste se poursuit également à travers la photographie. The Afronauts, de la photographe espagnole Cristina de Middel revisite de manière fictionnelle un fait historique oublié de l’histoire : la folle aventure spatiale zambienne, des années soixante. Pour rappel, le professeur Edward Makuka Nkoloso , avait pour ambition d’emboiter le pas aux États-Unis et à la Russie dans la course à la conquête de l’espace. Sous sa supervision, douze jeunes Zambiens s’entraînaient alors dans un camp près de Lusaka pour se préparer aux conditions de vie en apesanteur. Ce projet, dont la date de lancement avait été fixée au jour de la cérémonie de célébration de l’Indépendance, ne sera jamais pris au sérieux par les autorités zambiennes et finira par être abandonné faute de financement, avant de tomber dans l’oubli.
Voulant apporter une contribution à la question afro-futuriste , j’ai essayé à travers mon projet entre photographie et vidéo, intitulée Baadaye, terme emprunté au swahili qui signifie avenir, d’apporter ma contribution autour de cette question en proposant la traduction d’une vision, celle de l’Afrique de demain. Un triptyque présente un homme, Djissene et une femme Awa , à la manière d’Adam et Eve , ils sont pris en photographie dans le style portrait à trois différentes étapes de leurs vies. Ces deux personnages représentent une réécriture de la création, un projet artistique collaboratif qui dessine ce que seront les afro-descendants de demain. Dans la partie vidéo de ce projet, des visionnaires, qu’ils soient musiciens, fashion designer écrivains où encore économistes partagent eux aussi leurs opinions sur la question. L’avenir sera t il fécond où apocalyptique. Baadaye propose une vision non utopiste et optimiste de l’avenir. Le continent a été le berceau de notre humanité, pourquoi n’en serait-il pas l’avenir ?
De nombreux architectes d’origine africaine réfléchissent eux aussi à demain et tentent de proposer des projets novateurs pour réfléchir aux conditions de vie dans les villes du Futur sur le continent. Là encore, on peut citer des projets dit afro-futuristes qui emploient de nouvelles tendances de constructions et d’organisation de la ville sans renier les caractéristiques propres à chaque pays ou culture. Ces projets reflètent la volonté d’être sur le devant de la scène pour ces villes qui connaissent des croissances exponentielles. C’est le cas de Lagos où Kinshasa qui sont dans des situations comparables, en termes de développement et de démographie, à certaines villes d’Asie. Le cas du projet d’Eko Atlantic dans la ville de Lagos au Nigéria. Ce dernier envisage la construction d’une île de 10km2. Un espace artificiel qui devrait accueillir de nombreux gratte-ciels et devenir le “Dubaï de l’Afrique”. Un projet qui connaît cependant ses limites. Les travaux connaissent d’importants retards et sont très coûteux. Dans la course à l’innovation urbaine, les villes africaines souhaitent s’imposer comme challenger en proposant des projets modernes et ambitieux, pour affirmer leurs spécificités culturelles dans des projets urbains inspirants. Les nombreux projets urbains du continent qui réinventent l’architecture vernaculaire africaine et innovent à leur manière pour créer les villes d’Afrique de demain.
Mawena Yehouessi chercheuse, curatrice et artiste synthétise la réflexion autour de la question en disant : « L’afro-futurisme sera d’abord reconnu comme un facteur d’émancipation : celle des personnes de couleur, dans un pays qui ne leur accorde que peu de place au sein de sa narration. Ce sera le moyen pour la culture noire de s’affranchir d’une autorité biaisée et de faire son propre éloge. L’afro-futurisme s’appuiera profondément sur ses origines africaines, plus encore qu’aucun autre courant noir-américain, comme « garantie » de son altérité par rapport au système. « Il laisse entrevoir la possibilité d’un nouveau type de relation au monde. » […]L’afro-futurisme embrasserait des narrations alternatives du monde plutôt qu’une narration « de référence », transfigurant le système mondial officiel. Il n’essaiera plus d’organiser ou d’illustrer le monde, mais de l’accomplir. En fait, l’afro-futurisme formerait un pont entre le monde et sa propre « surnaturalité » ».